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Au cours de la première semaine de confinement, les expositions virtuelles ont été un des sujets culturels le plus médiatisé sur les réseaux sociaux, diffusées soit par les médias soit directement par les institutions et acteurs du monde de l’art. Pablo s’est prêté au jeu aussi comme bon nombre d’acteurs culturels. L’idée de surfer sur les expositions virtuelles se fait naturellement. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que le terme “exposition virtuelle” est un fourre-tout assez déceptif, ce qui nous amène à approfondir le débat. Pour toutes les propositions en ligne, peut-on vraiment parler d’expositions virtuelles ? Qu’entend-on par “exposition virtuelle” et surtout qu’attendons-nous de cette expérience ? Si c’en est une.

Une définition évolutive

Dans les années 1980, le mot “virtuel” était utilisé pour désigner tout ce qui se passait dans un ordinateur ou sur Internet, c’est-à-dire dans un « monde numérique » par opposition au « monde physique ». Toute production de contenus était donc virtuelle. Mais avec l’apparition des nouvelles technologies depuis le début du XXe siècle, sa définition a évolué. Aujourd’hui, elle correspond plus à une technologie en 3D qui permet de plonger l’individu dans un monde artificiel créé numériquement. L’idée est que l’individu se sente immergé le plus naturellement possible.

Une exposition virtuelle se doit, à nos yeux, de répondre à cette idée d’immersion dans un espace défini grâce à la production d’une image 3D. Or ce n’est pas forcément ce qui ressort dans celles qui ont été médiatisées ces dernières semaines.

Depuis le confinement, sont regroupées sous cette même appellation aussi bien des expositions en 3D que des expositions digitales, souvent en format vidéo et diaporama. Et c’est là où l’utilisation de ce terme perd toute sa signification et potentiellement l’expérience recherchée.

Il y a pourtant des critères essentiels pour parler d’expositions virtuelles. Elles doivent s’appuyer à la fois sur l’utilisation d’une technologie numérique innovante et sur la notion d’expérience immersive. L’effet recherché est celui d’avoir cette sensation d’entrer dans l’espace d’exposition, de faire ressentir l’atmosphère, les lumières, les couleurs des murs choisies pour mettre en valeur les œuvres. Cette virtualité révèle la subtilité de la scénographie qui permet de voir les distances entre chaque œuvre, pour que celle-ci puisse vivre et respirer par elle-même, tout en donnant une vision d’ensemble harmonieuse. Il faut bien évidemment que cette exposition ait pu ouvrir pour pouvoir accéder à ce type de présentation et que la caméra HD qui réalise cette capture 3D puisse se balader tranquillement dans l’espace. C’est un peu comme une pièce de théâtre diffusée à la télévision. Elle a dû être au moins joué une fois, à huit clos ou en public, pour être retransmise de manière audiovisuelle. C’est là toute la différence avec une exposition digitale construite essentiellement à partir d’images inanimées ou animées numérisées.

Un pas d’avance !

Aujourd’hui il existe de merveilleuses visites immersives d’expositions à travers la toile. Notre préférée est sans aucun doute celle consacrée à l’exposition “Rembrandt et le portrait à Amsterdam (1590-1670)”, au musée Thyssen-Bornemisza, Madrid.

Les institutions publiques ou privées qui ont opté très tôt pour l’innovation 3D dans leur stratégie de développement sont aujourd’hui gagnantes. La plupart se sont appuyées sur les technologies proposées notamment par deux startups Artland et Matterport.

Quelques galeries ne sont pas en reste non plus. Nous avions déjà cité dans nos posts réseaux sociaux les exemples de l’exposition “Hermann Nitsch - The Shape of Colour”, à la Galerie RX ou encore celle de Claire Chesnier à la Galerie ETC, qui utilisent la solution 3D d’Artland. Cette offre réellement destinée au monde de l’art est vouée à des développements plus importants dans les prochains mois, nous semble-t-il.

D’autres galeries ont choisi la solution développée par Matterport, initialement prévue pour le marché de l’immobilier et qui s’ouvre progressivement au marché de la culture et du tourisme culturel. C’est le cas de la Galerie Lelong, galerie majeure de l’écosystème français qui fait toujours preuve d’anticipation et d’innovation. Elle propose ainsi plusieurs expos en 3D comme le dialogue entre “Pierre Alechinsky et Karel Appel” ou encore celle consacrée à “Antoni Tapiès”, en accès libre sur son site internet et ses réseaux sociaux.

La liste des galeries qui ont franchi le pas est assez longue au final, et nombreuses galeries sont celles qui se sont décidées rapidement à faire appel à ce type de services pour mettre en valeur leurs expositions. Le procédé peut paraître répétitif à la longue mais il permet cependant d’avoir une vision globale de l’exposition et d’en comprendre le parcours.

Certaines institutions ont même été un peu avant-gardistes. En 2019, le musée d’art contemporain de Lyon a tenté l’expérience avec l’exposition du jeune artiste brésilien Maxwell Alexandre.

Rester visible coûte que coûte

Beaucoup d’artistes, de galeries et de musées proposent des expositions en ligne, à l’image de la galerie JaegerBucher, d’artistes comme Lionel Sabatté. Elles s’apparentent plus à des présentations de vidéos ou de vues d’expositions. En cette période de confinement, les enjeux pour toutes et tous sont de rester visibles, de continuer à exister sur la toile et à stimuler leur communauté.

De même, les soi-disant “expositions virtuelles” de Google Art&Culture telles que “Faces to Frida” ou de “Sophie Taeuber-Arp" ne sont ni plus ni moins que des présentations et images numérisées, plus proches d’un livre numérique ou diaporama que d’une expérience immersive en 3D. Un peu décevant tout de même pour ce grand mastodonte de l’IA et d’Internet…

Dans le même esprit, on peut citer les expositions digitales ou en format webdocumentaire du Städel Museum à Francfort, que soit celle consacrée à Titien ou à l’artiste français Victor Vasarely, ou celle de la Schirn Kunsthalle à Francfort, avec « Fantastiche Frauen ».

En France, pour sauver son expo “Voyage, voyages”, prévue initialement jusqu’à début mai, le MUCEM a mis aussi en ligne une version digitale.

Parfois les propositions sont assez rudimentaires même pour des institutions réputées, à l’image du muséeJacquemart-André et l’exposition “Turner. Peintures et aquarelles, Collection de la Tate” ou encore plus étonnant, l’exposition en format vidéo “Supermarché des images”, au Jeu de Paume.

D’autres institutions comme le MAD - Musée des arts décoratifs propose un descriptif détaillé sur leur site de l’exposition en cours à l’image de “Harper’s bazaar”, pourtant sublime exposition qui aurait mérité que la scénographie d’Adrien Gardère soit mise plus en valeur par les nouvelles technologies.

Faire naître une émotion

Toutes ces propositions ont le mérite d’exister et de participer à leur manière à la diffusion de “la culture vient à vous puisque vous ne pouvez venir chez nous” (#culturechezvous).

Mais elles ne répondent pas à proprement parler à la promesse de vivre une expérience immersive que sous-entend l’appellation “virtuelle” : cette expérience qui doit nécessairement faire voyager le visiteur dans un espace immersif, qui doit donner l’impression de perturber ses sens, de le plonger dans l’univers d’un artiste, d’une époque, et faire, pourquoi pas, naître une émotion, ou du moins la satisfaction d’avoir vécu un bon moment.

Elles révèlent des choix stratégiques différents selon les établissements. Et plus encore, d’une certaine manière, elles montrent le fossé financier qu’il existe entre les petits, moyens et grands établissements, ainsi que les retards technologiques associés. Ceux qui avaient les moyens et ont fait le choix de l’innovation, s’en sortiront probablement mieux. Seul l’avenir nous le dira !

Pour Pablo, il en résulte que l’expérience émotionnelle est et restera fondamentale dans la visite d’une exposition qu’elle soit physique ou virtuelle. Les expos en vrai, c’est mieux. Les vraies expos virtuelles, c’est parfait pendant le COVID-19, et même après. Les deux ne sont pas en compétition et peuvent être complémentaires pour l’enrichissement personnel et collectif. Là aussi, l’avenir nous le dira !

Crédits photos : musée d’histoire naturelle de Washington, 2019. Galerie Lelong, Pierre Alechinsky, 2020, Maxwell Alexandre, MOCA, Lyon, 2019.