Inspiration

Qui dit artiste d’exception dit lieu d’exception ! Le Centquatre accueille pendant deux mois la grande exposition d’Alain Fleischer. Après dix-sept ans d’absence sur la scène parisienne, le directeur du Fresnoy revient pour une exposition des plus surprenantes. Bien plus qu’une exposition d’ailleurs, c’est une invitation sensorielle au voyage, sous la forme d’une rétrospective qui questionne l’avenir. C’est un regard vers le passé pour prévenir le futur. Son œuvre est en parfaite harmonie avec le lieu qui la présente, ancien Service municipal des pompes funèbres.

Pendant deux ans, l’artiste a imaginé cette rétrospective où « des visages, des corps, des objets, des animaux, des meubles, des jouets, des miroirs, des images, des voix, des sons, des projections, des lumières, des ombres, des machines, des leurres, des jeux, des reflets » se mêlent et s’entremêlent. Alain Fleischer est photographe, cinéaste, artiste plasticien et écrivain. Autodidacte et curieux, il est aussi bien explorateur qu’artiste. Son monde est à la fois complexe et simple, hétérogène et cohérent. À l’instar de voyageurs, les regardeurs sont libres de déambuler entre ses oeuvres, de flâner dans son monde. Alain Fleischer se met à nu à travers une exposition conçue avec sa compagne, Danielle Schirman, et Dominique Païni qui connaît bien son travail. Quarante-cinq œuvres au total forment un ensemble homogène et nous font découvrir les mystères des images.

L’image comme support du souvenir

Photographies, films, installations et projections apparaissent comme une frise chronologique de l’Histoire qui se déploie dans cet établissement multiculturel. Il est vrai que la mémoire et le souvenir sont au centre de cette exploration : c’est une présentation de l’Histoire de l’humanité, de l’histoire personnelle d’Alain Fleischer ainsi que celle de la photographie globalement “Aventure générale” aussi parce que les visiteurs sont invités à entrer dans l’Histoire et à en faire partie, en participant activement à cette expérience. C’est une expédition globale qui laisse place à l’imagination, à la liberté de rêver d’un avenir en proue d’un passé à ne pas réitérer. Cependant, certains événements relatés par les oeuvres d’Alain Fleischer n’ont pas toujours eu lieu ! Il utilise la mémoire objective et la transforme en une anecdote chimérique. Entre détournement historique et pictural, les images saisies par l’artiste sont toutes plus singulières les unes que les autres.

Depuis toujours, l’homme capture des évènements pour ne jamais les oublier. Que ce soit dans la culture mexicaine ou dans le monde antique, la commémoration des morts par exemple est essentielle. Dans Le regard des morts, les photographies des yeux des soldats disparus pendant la Grande Guerre rappellent les masques funéraires romains. Anonymes mais pourtant inoubliables, ces héros inconnus sont les protagonistes d’une Histoire commune. Le souvenir des ancêtres est quelque chose qui touche particulièrement l’artiste d’ailleurs : les meubles utilisés dans La traversée des apparences appartenait à ses aïeux ; les visages projetés dans La Nuit des visages sont une forme de vie éternelle pour les défunts représentés ; quant aux Autoportraits sous le masque, ils rendent hommage aux grandes figures de l’Histoire et de l’Art. Si certains protagonistes de ces oeuvres ont réellement existés, d’autres sont purement fictifs !

La pluralité de l’image

Photographie, clichés, apparences, mirage, illusion, souvenir, illustration… L’image se décline à l’infini ! Tout comme l’oeuvre d’Alain Fleischer d’ailleurs, cette “aventure générale” dans laquelle nous entrons pleinement une fois la porte du Centquatre passée. Nous sommes plongés dans le monde de l’artiste et dans sa vie, dans un univers où les images circulent d’un médium à un autre. Tous nos sens, excepté l’odorat, sont convoqués. En perpétuel mouvement, les images choisies par l’artiste sont connues et inconnues. Tableaux de maîtres, photos de femmes qui l’ont accompagné au cours de sa vie, simples objets et personnes étrangères… Tout est révélation pour lui, à la manière du procédé chimique qui révèle une photographie. Mais révélateur de quoi de au juste ? Et bien du souvenir d’une temporalité figée, de personnes disparues et anonymes, d’objets du quotidien et de paroles répétées… Toutes ces choses qui sont finalement ancrées dans notre mémoire et qui se transmettent par les images, de générations en générations.

Ceci est une image

Au delà de la temporalité des images, ce sont des mouvements qui sont captés. Pour Alain Fleischer, le procédé photographique est l’association du temps et du mouvement. Lorsqu’il travaille avec ce dispositif, il fabrique des images invisibles à l’oeil nu. Il nous livre sa propre vision de la réalité, qui “n’est que l’envers de l’illusion” à ses yeux. C’est pourquoi il passe facilement de la photographie au cinéma, de l’image figée à l’image en mouvement. et inversement. C’est un voyage onirique qui se fait entre le temps présent et le passé, où l’image se balade entre différents supports. Les frontières artistiques n’existent plus, tout est réflexion, transformation, révélation.

L’image devient même sonore ! Ce n’est pas étonnant lorsqu’on compare le vocabulaire des deux supports. Tout comme une photographie, une sonorité peut être nette, piquée, avoir du grain… Alain Fleischer a extrait des sons de ses films pour les transposer visuellement. Arêtes de poisson, plumes de paon et totems en bois prennent l’apparence d’une bande sonore, celle qui répète “Je ne suis une image”. L’artiste révèle ce qui est invisible à l’oeil nu !

“L’Aventure générale”, ce n’est pas qu’une exposition. Nous entrons aveuglément dans le monde d’Alain Fleischer pour y découvrir les mystères des images. C’est une oeuvre plurielle qui s’articule autour des sensations procurées par les images : conscience historique, souvenirs joyeux ou mélancoliques, évènements fictifs, sonorités… Tant de sentiments qui ont traversés la vie d’Alain Fleischer et qui nous parle à tous.

Une expérience sonore

A l’occasion de cette exposition qui se déroule du 10 octobre au 6 décembre 2020, et en en partenariat avec l’artiste et le Centquatre, Pablo lance son premier podcast de visites augmentées d’exposition, conçu comme un outil de médiation sonore, pour visiter autrement les expositions.

Ce podcast écrit avec le concours précieux de Philippe Venault, réalisateur et scénariste, se compose de 6 épisodes qui permettent au visiteur de passer de salle en salle, d’atelier en atelier et de ressentir une plongée fascinante dans le monde d’Alain Fleischer.

🎧 Retrouvez toute l’expérience sonore de l’exposition en écoutant les Pablocast, les podcasts de Pablo :

#E1: Mon monde, une Aventure générale d’Alain Fleischer

#E2 : La mécanique de l’illusion

#E3: Des noeuds, des liens, des plis pour les visiteurs du noir

#E4 : L’écho de la lumière, l’opacité de la transparence

#E5 : Les visiteurs du noir

#E6 : Moi est un autre

et sur notre app Pablo

© Alain Fleischer, 2020 - © Pablo app - Centquatre. Tous droits réservés. Illustrations : Le Voyage du brise-glace, Portrait d’Alain Fleischer, Autoportraits sous le masque, installation, Les hommes dans les draps, Et pourtant il tourne, La traversée des apparences.